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«On peut faire des études, on reste un Arabe dans la réalité sociale» SOS «minorités visibles»!

Jeudi, 14 Octobre, 2004
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Samuel Thomas: «On peut pratiquer la diversité tout en restant discriminatoire»

Faut-il instaurer des règles de discrimination positive pour assurer «la diversité» dans l’économie et l’administration? Le débat est lancé. Mais déjà on crée une Haute Autorité antidiscrimination et on parle de traduire les «discriminateurs» en justice...

Semaine du jeudi 14 octobre 2004 - n°2084 - France

«On peut faire des études, on reste un Arabe dans la réalité sociale»

SOS «minorités visibles»!

Faut-il instaurer des règles de discrimination positive pour assurer «la diversité» dans l’économie et l’administration? Le débat est lancé. Mais déjà on crée une Haute Autorité antidiscrimination et on parle de traduire les «discriminateurs» en justice...

France, société coloniale! C’est le miroir terrible que tend à son pays un enfant chéri de l’élite, l’industriel Yazid Sabeg, dans un livre de combat (1). France, société coloniale, où le sort fait aux enfants d’immigrés décalquerait la situation des «indigènes musulmans» dans l’Algérie de papa. Des sous-citoyens de fait, rebondissant sur un mur invisible, laissés en marge des postes de commandement, des emplois valorisants: «On peut faire des études, on reste un Arabe dans le regard des gens et dans la réalité sociale.» Sabeg serait un gauchiste, un révolté professionnel, sa charge laisserait indifférent. Mais le provocateur est un grand patron, souriant, courtois: un homme des beaux quartiers, maniant le discours des dominants et possédant leurs codes. Président de la Compagnie des Signaux, vendeur de technologies de renseignement, proche des hiérarques démocrates-chrétiens et chiraquiens, Jean-Louis Borloo l’a nommé à la tête de l’Agence nationale pour la Rénovation urbaine, un des outils du plan de cohésion sociale. C’est adossé à sa réussite que Sabeg provoque la France. Il lui crie qu’elle n’est pas ce qu’elle prétend être, que son surmoi républicain est un leurre, que ses principes égalitaires l’empêchent de voir le mal. Et il réclame un traitement de choc. Des politiques de discrimination positive, comme aux Etats-Unis, pour redonner leur chance à ceux qui la méritent: ces Français moins blancs et moins égaux que les autres.
S’il enfreint l’omer-ta bien-pensante, Sabeg va relancer un débat brûlant. Tabou des mots, sexe des anges, principes républicains. «Dans ce pays, personne n’ose employer le mot "arabe", ou "maghrébin", constate Patrick Simon, chercheur à l’Institut national d’Etudes démographiques. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. On édulcore la réalité en évoquant les "jeunes des quartiers", les "cités difficiles". Mais on ne pourra pas s’échapper indéfiniment.» A force de rapports et de missions d’enquête, on appréhende une réalité dévastatrice: Les «immigrés ou perçus comme tels», selon la jolie expression de la sociologue Mouna Viprey, sont plus souvent au chômage, moins souvent recrutés à diplôme égal, moins souvent convoqués par les recruteurs. Diplômés de l’université restant en rade. Lycéens de l’enseignement professionnel dont les profs valident les diplômes sans le stage obligatoire parce qu’aucune entreprise n’a voulu d’eux. Candidats locataires maghrébins ou noirs retoqués par le racisme de propriétaires, ou les quotas sournois d’organismes HLM.
La conséquence politique est terrible: la naissance d’une véritable «question arabe» – en attendant une «question noire» – qui empoisonne le pays. Communautaristes, caïds de quartiers, islamistes aux langues de velours, prospèrent sur les discriminations. L’an dernier, l’ancien ministre Bernard Stasi demandait à l’Etat d’accompagner sa politique de ferme laïcité d’une action vigoureuse contre les discriminations. Seule manière de rester crédible et de ne pas ajouter chez les Français d’origine ostentatoire le sentiment d’être stigmatisés. Stasi sera bientôt nommé à la tête d’une Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité – la Halde – prolongeant l’action lancée sous le gouvernement Jospin. Tout se passe comme si les élites de ce pays réagissaient enfin, dans l’urgence et le désordre, devant la catastrophe prévisible.
«La discrimination ruine la cohésion nationale», a proclamé Jacques Chirac, qui réclame – sans oser, comme Sarkozy, le mot de discrimination positive – des politiques de recrutement volontaristes pour les minorités. Le ministère de l’Intérieur a lancé un programme, les «cadets de la République», visant à faire recruter des «jeunes des quartiers» dans l’administration. Une centaine de nouveaux gardiens de la paix ont ainsi fait leurs premières armes cette année. On reprend une idée des années 1990: faire ressembler les services publics à la population. La méthode s’inspire aussi des expériences de Sciences-Po Paris, qui est allée recruter des bons élèves venus des ZEP. Méthode douce, volontarisme valorisant? C’est le choix de ces entrepreneurs qui revendiquent une «charte de la diversité». Un engagement à ne plus oublier les «minorités visibles», selon le mot à la mode. La «diversité», semble avoir été inventée par des hommes de marketing. Un concept caressant et positif. Il permet d’introduire cette notion ethnique que la morale républicaine réprouve. Il s’adresse à l’esprit d’entreprise des patrons. «Ne vous privez pas de l’énergie des minoritaires», lance Sabeg à ses collègues patrons. L’homme sait doser accusation et incitation. Il anime, avec Claude Bébéar, ce lobby prodiversité, arc-bouté au libéral Institut Montaigne (2) où l’on croit plus au volontarisme entrepreneurial qu’en l’action étatique pour transformer la société.
L’objectif de la diversité a pourtant l’inconvénient de ne pas aller jusqu’au bout du problème. «On peut pratiquer la diversité tout en restant discriminatoire», constate Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme. Il garde dans ses fichiers le cas de cette entreprise d’hôtesses, qui embauche Asiatiques, Beurettes, Noires et Blanches, mais réserve certains postes, certaines missions, aux seules «Blanche-Neige» de son staff. Thomas est un républicain pur jus. A la diversité, il préfère l’égalité. Il pense encore que la France peut être color-blind, ignorer totalement les origines des gens, à condition de s’en donner les moyens. «La société est déjà métissée, affirme-t-il. Elle est prête à suivre des politiques qui affronteraient les discriminations.»
Depuis plus de cinq ans, SOS-Racisme a orienté l’essentiel de ses forces sur les luttes antidiscrimination. Le «testing», ce piège tendu aux racistes par les militants des Potes, a été reconnu en 2002 comme une arme juridique valide par la Cour de Cassation. Discrimination à l’embauche, au logement, à l’entrée des boîtes... «On disait toujours qu’il était impossible de prouver les discriminations en justice. C’est faux. On peut. Si on le veut. Si on met les services publics en marche. La police, la justice doivent être mises au service de cette cause... La discrimination est un délit pénal, elle doit être prise comme telle!»
Une République qui retrouverait ses bases? Thomas regrette qu’elle ait renoncé à faire appliquer ses principes – y compris dans ses institutions. Il dénonce le tri ethnique à la prison de la Santé, ces cellules pour Noirs, pour Blancs, pour beurs, que l’administration tolère. Et la capacité de l’Etat et des grandes institutions à se protéger: «On arrive à faire condamner des petits patrons, des petits commerçants. Mais quand on touche aux grands, il y a un blocage.» Depuis plusieurs années (voir encadré), Thomas pourchasse des sociétés HLM qui pratiquent le tri ethnique de leurs appartements et de leurs locataires, au nom de l’équilibre social des cités. La justice est restée désespérément passive. «La discrimination, ce ne sont pas seulement quelques méchants racistes, des beaufs lepénistes que l’on pourrait stigmatiser, dit Patrick Simon. C’est tout le monde. C’est un mal de notre société. C’est quelque chose qui se pratique, parfois, malgré des bonnes volontés apparentes. Pour voir où le système bloque, il faut se donner des outils pour comprendre, aller voir les entreprises, les cabinets de recrutement, pratiquer des audits.»
Cette compréhension est un des enjeux de la Halde, tellement attendue. On lui prête de grandes espérances. Mais ses premiers pas, la semaine dernière, à l’Assemblée nationale, lors du débat en première lecture de sa création, ont inquiété certains de ses partisans. Déception devant un hémicycle déserté par des élus indifférents, en dépit de leurs proclamations médiatiques. Etonnement face aux représentants de la gauche intervenant, de manière obsessionnelle, sur une seule question: celle de l’homophobie, ou des discriminations envers les transsexuels.
Comme si cette question, plus urbaine, moderne, «bobo», avait masqué les discriminations raciales. La Haute Autorité – contrairement aux dispositifs inventés sous la gauche – prendra en effet en charge toutes les discriminations. Femmes, homosexuels, handicapés pourront se tourner vers elle. La question du racisme risque de s’y diluer. «La discrimination ethnique est le sujet le plus grave pour notre pays, je ne l’oublie pas», affirme Stasi. Mais la volonté du vieux combattant pourra ne pas suffire face aux pressions de tant de lobbies de victimes potentielles. Autre danger: une culture de la Halde trop apaisante, trop axée sur la médiation, l’arrangement au cas par cas. Stasi, homme de bonne volonté, ancien médiateur de la République, croit que les gens peuvent s’amender et que le dialogue peut résoudre les souffrances. SOS-Racisme s’inquiète d’une «dépénalisation des discriminations ». Sabeg soupire contre la mollesse supposée de Stasi. «La médiation permet de résoudre les cas individuels, dit Patrick Simon. Mais elle ne fera jamais progresser la société.» A l’Assemblée, les députés ont rectifié un article tendancieux, qui mettait la médiation au premier rang des missions de la Halde. «Pour nous, les choses sont claires, affirme Catherine Vautrin, secrétaire d’Etat à l’Intégration et à l’Egalité des chances, marraine et supportrice de la Halde. La Haute Autorité devra accompagner les gens en justice. Elle devra débusquer des affaires de discrimination, aller chercher les cas. Elle servira à monter des dossiers, pour faire condamner les fautifs. Le gouvernement croit en la valeur d’exemple des condamnations...» Mais la peur du gendarme sera-t-elle suffisante pour chasser les fantômes des colonies?

(1) «Discrimination positive. Pourquoi la France ne peut y échapper», Yazid et Yacine Sabeg, Calmann-Lévy.
(2) Voir aussi «Ni quotas, ni indifférence, l’entreprise et l’égalité positive», Laurent Blinet, rapport à l’Institut Montaigne.

Claude Askolovitch

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