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"Les organismes publics HLM qui pratiquent le fichage ethnique restent impunis"

Vendredi, 4 Mai, 2018
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Samuel Thomas, président de l'association "La Maison des potes", accuse dans "Marianne" certains organismes HLM français de pratiquer la discrimination raciale et le fichage ethnique en toute impunité. Lors des procès, l'argument de la mixité sociale, convainc souvent les juges.

 

 

Depuis près de 20 ans, il se bat contre les discriminations raciales, notamment dans le cadre de demandes de logements. Alors que le phénomène de discrimination est réputé plus répandu chez les propriétaires privés, Samuel Thomas, président de l'association "La Maison des potes", dénonce une pratique souvent utilisée par les organismes HLM publics. Affirmant préserver la "mixité sociale", certaines sociétés trient les demandeurs selon leur origine supposée, leur nationalité supposée et leur couleur de peau. Les condamnations, elles, demeurent rares. Entretien.

Marianne : Il y a plus d'un mois vous avez porté plainte contre la société Habitat Toulouse, qui a mis en place, au moins à partir de 2011, des "quotas" pour sélectionner les locataires d'une tour HLM. Que leur reprochez-vous exactement ? 

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Samuel Thomas : Ils ont mis en place ce qu'on appelle un PLR : Plan local par résidence. Dans ce plan, ils ont indiqué à tous ceux qui ont un contingent de logements dans cette résidence HLM qu'ils avaient plafonné à 14 le nombre d'appartements qui pouvaient être loués à des familles non-européennes. Récemment, ils ont fait savoir au service Logement de la mairie de Toulouse qu'il y avait des logements libres, avec une petite note de mise en garde : "Attention, vous avez déjà loué 12 appartements" à des familles non-européennes. Ou encore : "STOP noms étrangers". Ils ont donc mis en place un système de quotas de personnes étrangères ou supposées étrangères dans un immeuble. C'est totalement illégal.

Le 20 mars 2018, Samuel Thomas a porté plainte auprès du Tribunal de grande instance de Toulouse contre l'organisme HLM Habitat Toulouse, à la suite des révélations de Mediapart sur leurs pratiques. Nouveau président de l'organisme depuis 2014, Franck Biasotto, a expliqué à Mediapart que la "direction générale" était "profondément choquée" par ces révélations et qu'elle les "condamnait". Le président de l'époque, Stéphane Carassou, a assuré à Mediapart découvrir l'existence de documents "à l'inverse de la politique que nous avons menée". "Je n'ai jamais été informé de cela", dit-il.

Ce système de quotas est-il répandu ? 

Oui, très répandu. Un certain nombre de flous législatifs leur a permis de continuer à établir des systèmes de quotas. Ils ont longtemps prétendu utiliser ce "dosage" dans le cadre d'une politique de peuplement élaborée en bonne collaboration avec le préfet. Cela remonte aux années 1990, avec la création des POPS (protocole d'occupation du patrimoine social). C'est un protocole élaboré par les organismes HLM avec les préfets, où des plans de peuplement étaient mis en place avec des "dosages" d'étrangers, par nationalité ou par origine. Certains POPS indiquaient ainsi : "Ici 15 Algériens, ici 15 Marocains…". C'était déjà totalement illégal. Au fil des années, ils ont commencé à utiliser des logiciels qui établissent des fichiers, des grilles de peuplement, qui permettent de localiser précisément les personnes étrangères ou d'origine étrangère dans chaque quartier, dans chaque immeuble.

La plupart du temps, lorsque les consignes indiquent "pas d'étranger", c'est interprété comme "pas de personne d'origine non-européenne".

A chaque fois que ces organismes se sont fait attraper, ils ont prétexté agir selon une loi qui les obligerait à veiller à la mixité sociale, c'était pour eux une façon d'éviter les déséquilibres de peuplement dans les quartiers. Or, dans la loi sur la mixité sociale, il n'est absolument pas fait mention d'une origine ou d'une nationalité, mais d'un équilibre qui concerne la composition des familles. Elle permettait notamment de ne pas mettre trop de familles nombreuses ou au contraire de familles monoparentales dans un même immeuble. Cette loi a été clarifiée en septembre 2001 lors du congrès de l'Union des HLM qui s'est déroulé à Toulouse. Les organismes HLM y avaient reconnu leurs fautes et ont clarifié ce texte. Cela fait déjà 18 ans.

Ces systèmes de quotas font-ils une distinction entre la sélection sur la nationalité et la discrimination sur l'origine supposée du locataire ? 

A priori, on parle de nationalité, c'est d'ailleurs la ligne de défense employée par Toulouse Habitat lorsque nous avons porté plainte. Mais, dans beaucoup, voire dans la plupart des organismes HLM, ils confondent nationalité et origine, et se basent, sans distinction, sur l'apparence ou le nom du potentiel futur locataire. La plupart du temps, lorsque les consignes indiquent "pas d'étranger", c'est interprété comme "pas de personne d'origine non européenne".

"Le syndrome des boîtes aux lettres"

Par exemple, l'organisme OPAC de Saint-Etienne, une société HLM, a établi un "dosage" de locataires sur les critères du nom. En fonction de ce dernier, ils catégorisaient les locataires comme Africains, Asiatiques ou Européens. Cela ne reposait jamais sur l'état civil mais seulement sur la consonance du nom. C'est dans ce cadre qu'ils mentionnent, par écrit, ce qu'ils appellent le "syndrome des boîtes aux lettres". Soit l'idée que les futurs locataires viennent regarder les noms sur les boîtes aux lettres et refuseraient de louer dans l'immeuble si trop de noms à consonance supposée étrangère y figuraient. Et le plus incroyable, c'est que ces documents étaient transmis en interne mais également à tous les partenaires de l'organisme : la préfecture, la caisse d'allocations familiales, etc… Des partenaires qui n'ont visiblement rien trouvé à redire à ce fichage ethnique.

Le 3 février 2009, l'office public d'HLM de Saint-Etienne a été condamné à une amende de 20 000 euros avec sursis par le tribunal correctionnel stéphanois pour discrimination raciale et fichage ethnique. C'était la première fois en France qu'un organisme public était condamné pour ce type de délit. Lors des audiences, l'office avait alors plaidé vouloir "préserver un équilibre d'occupation, dans le cadre d'une politique de mixité sociale". Il avait alors été condamné à une faible amende, le tribunal considérant que l'objectif de préserver la mixité sociale était louable.

Les organismes vont jusqu'à mentionner directement leur politique discriminatoire en interne ? 

Pour certains oui, mais pour les autres, c'est une politique interne souvent codifiée. Par exemple, nous avons eu une affaire contre France Habitation qui utilisait la codification suivante : lorsqu'un immeuble était habité par trop d'étrangers, on y mettait un code 2. Il signifiait qu'on ne pouvait plus louer de logements à des étrangers non-européens. Dans d'autres immeubles, le code 4 signifiait qu'il ne fallait pas attribuer un logement à quelqu'un issu de l'immigration ou des DOM-TOM. Ces codes imposaient donc au personnel de l'organisme de ne plus attribuer de logements à des personnes étrangères, issues de l'immigration ou d'une certaine couleur de peau.

Dans cette affaire qui a opposé France Habitation à SOS Racisme, un non-lieu a été prononcé en juillet 2010. Une décision infirmée en appel en décembre 2010 et renvoyée devant le juge d'instruction pour un supplément d'information. L'organisme a plaidé l'objectif de "mixité sociale" pour expliquer le fichage ethnique informatisé qu'il pratiquait. Un nouveau non-lieu a été prononcé le 24 décembre 2012.

Comment sont accueillies les plaintes pour discrimination au logement ou fichage en fonction de l'origine réelle ou supposée d'un demandeur ? 

Malgré le faible nombre de procès par an, il y a quand même des milliers de plaintes. Seules quelques-unes aboutissent : la plupart du temps, les policiers et les procureurs ne prennent pas au sérieux ce type de plainte et ne démarrent pas l'enquête qui permet pourtant, à chaque fois, de découvrir lors des perquisitions des documents faisant état d'une politique discriminatoire criante. D'ailleurs, les policiers ou les procureurs ne sont pas forcément acquis à la loi qui interdit la sélection sur des critères de nationalité, de religion, de couleur de peau ou d'origine supposée. Ils peuvent considérer qu'il devrait être autorisé de choisir son locataire sur n'importe quel critère, et dans ce cas, ne pas mettre une énergie folle à déceler un délit qu'ils ne considèrent pas comme tel..

Quels sont les moyens juridiques à votre disposition pour dénoncer ces pratiques discriminatoires ? 

Pour intenter une procédure contre une agence ou une société HLM dont on suspecte les méthodes discriminatoires, il faut d'abord passer la barrière de la plainte, de son traitement par les policiers et par les procureurs. Lorsqu'on porte plainte avec constitution de partie civile, on évite le risque de la plainte classée sans suite et une enquête peut être enclenchée. C'est par ce biais, par exemple, que l'on a pu attaquer l'organisme LogiRep, où les locataires étaient catégorisés selon leurs origines. Une victime avait intégralement enregistré une conversation avec un membre du personnel de la société lui expliquant : "Vous ne pouvez pas loger dans cette tour, il y a déjà trop de Noirs". Lors de la perquisition accompagnant l'enquête, des documents et des fichiers qui répertoriaient les gens selon l'origine ont été trouvés, avec des mentions telles que "origine algérienne", "origine tunisienne", "origine malienne", etc. Là encore, on ne parle à aucun moment de nationalité.

Le 18 mars 2016, le bailleur social LogiRep a été de condamné en appel pour fichage ethnique et discrimination raciale, par la cour d'appel de Versailles. Il a été condamné à verser 37 000 euros de dommages et intérêts aux parties civiles. Il avait refusé un logement à un Français d'origine ivoirienne en invoquant la "mixité sociale selon l'article 56 de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions".

Quels mobiles invoquent-ils pour leur défense ? 

Dans le cas d'organismes HLM, c'est toujours la même raison : une question d'image. L'image d'une tour, d'un quartier. Ils alimentent l'idée qu'un immeuble qui loge trop de personnes d'origine supposée étrangère perd en attractivité. C'est donc toujours une raison économique.

Parfois, ce sont les gardiens d'immeuble ou le chargé d'agence qui pratiquent directement la discrimination. Ils l'expliquent par la volonté de ne pas créer de conflits de voisinage. Par exemple, à Metz, un gardien nous avait dit en caméra cachée : "Évidemment, moi si je fais cela, c'est parce qu'il y a des communautés qui ne s'entendent pas. Je ne vais pas mettre un Serbe et un Bosniaque sur le même palier, je suis donc obligé de prendre en compte l'origine des locataires".

La dernière raison invoquée a à voir avec des stratégies ou des promesses électorales. On va constater des interventions de tel ou tel élu dans une commission d'attribution d'un logement. Nous avons par exemple eu connaissance d'un maire à Valence qui se serait insurgé, en pleine commission : "Quoi ? Il y a une femme voilée dans cet immeuble alors que j'avais promis qu'on ne mettrait pas d'immigrés dans ce quartier !".

Comment sont punies les discriminations au logement lorsque la plainte est prise en compte, et que le délit est avéré ? 

Il y a très peu de procès, moins de cinq par an ! La plupart du temps, les sentences - lorsqu'il n'y a pas non-lieu - sont très clémentes. Dans le cas du procès qui nous a opposés à France Habitation, le juge d'instruction et le procureur ont reconnu leur bonne foi, lorsqu'ils ont signifié qu'ils avaient eu tort. Ils ont donc tout simplement passé l'éponge. Pourtant, France Habitation est un organisme qui possède plus de 100 000 logements sociaux. Si les procédures n'étaient pas portées par une association déterminée à aller jusqu'au bout, devant un juge d'instruction, toutes les affaires seraient systématiquement étouffées.

Lorsque nous avons obtenu la condamnation de Métropole Habitat, à Saint-Etienne, le président du tribunal a reconnu leur culpabilité mais leur a accordé une "dispense de peine". C'est-à-dire que, face un fichage ethnique qui concerne plus de 5 000 personnes, les 20 000 euros d'amende seront remplacés par un sursis. Il y a toujours l'idée que si un organisme public se rend coupable d'une politique discriminatoire dans le but de sauvegarder l'équilibre économique d'un organisme public, ce n'est au fond pas si grave. Ou moins que s'ils avaient cherché un enrichissement personnel ...

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