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Diversité : les statistiques ethniques restent un sujet sensible

Lundi, 23 Octobre, 2006
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Samuel Thomas: " Ces statistiques ont été menées pendant 20 ans et n'ont rien changé au problème. Au contraire les motifs de départ, qui visaient la non discrimination dans l'accès au logement social, se sont inversés. Les statistiques ont fini par servir à définir un seuil d'étrangers à ne pas dépasser dans certains endroits, "

Alors que la lutte contre les discriminations occupe médias, entreprises et politiques, un colloque s'est tenu à Paris pour débattre du bien fondé, ou non, des statistiques ethniques. Interdites par la loi française, elles pourraient selon certains experts permettre de répondre plus efficacement à la promotion de la diversité. D'autres soulèvent la délicate question de ces " fichiers ethniques " et les dérives sur l'usage qui pourrait en être fait.



Diversité : les statistiques ethniques restent un sujet sensible

       

Tandis que les enfants d'immigrés - y compris les plus diplômés- affichent des taux de chômage deux fois supérieurs aux autres, le débat sur les statistiques ethniques est relancé par ceux qui y voient un moyen de mieux connaître la situation et d'y faire face. Un colloque organisé par le Centre d'analyses stratégiques (ancien Commissariat au Plan), organisme  dépendant de Matignon, s'est tenu le 19 octobre pour débattre de cette question politiquement sensible. Pour les partisans d'un tel dispositif comme le démographe Patrick Simon, évaluer la composition ethnique des effectifs permettrait aux entreprises de rendre compte, chiffres à l'appui, de leurs pratiques de promotion de la diversité et de lute contre les discriminations. " Pour lutter contre les inégalités de traitement liées aux origines, il faut les mesurer, et pour les mesurer, il faut identifier les origines ", explique-t-il. Le chef d'entreprise Yazid Sabeg, chef de file des partisans de la discrimination positive, défend lui aussi cette idée : " Des différences existent, il ne faut pas les nier. La France n'est pas un pays métissé, et si l'on veut combattre les discriminations, il faut assumer de mesurer les origines ethniques ". La levée de l'" invisibilité statistique "  des populations potentiellement victimes de discriminations est jugée, dans ce courant " pro-discrimination positive ", comme un préalable indispensable à toute mobilisation ainsi qu'aux éventuelles actions judiciaires contre les discriminations.

 Pour autant, si le pragmatisme de certains dirigeants politiques et économiques peut séduire, il n'en reste pas moins que la réalisation concrète de ce " monitoring éthnique " à l'anglo-saxonne, pose des problèmes techniques. En effet, sur quels critères établir ce recensement ? Alain Bauer, représentant de la Halde (Haute autorité de lutte contre la discrimination et pour l'égalité)  voit dans ce procédé un risque de créer des " pseudos critères éthno-raciaux " pour définir les notions complexes que sont les origines, l'appartenance à un groupe éthnique et la filiation. " La Halde est totalement opposée aux fichiers éthniques, mais elle ne défend pas non plus le fantasme républicain de l'égalité absolue ", explique-t-il. " Faire des enquêtes dans les bassins d'emploi et dans les entreprises pour appréhender la discrimination nous semble plus pertinent, à condition qu'elles garantissent l'anonymat et soient contrôlées ". Cette théorie de la " 3ème voie ", qui privilégie des études qualitatives sur la base de la déclaration volontaire et de l'anonymat, a du reste été retenue dans plusieurs rapports commandés par le gouvernement. Claude Bébéar a ainsi proposé dans son rapport de " réaliser chaque année une photographie de l'entreprise ", où chaque salarié déclarerait s'il appartient ou non à une minorité visible. Cette photographie permettrait " d'apprécier la politique de recrutement et de promotion des effectifs de l'entreprise dans le respect de l'égalité de traitement ou, au contraire, de l'invalider et en ce cas d'identifier les attitudes ou les processus discriminants ".
D'autres experts préconisent de travailler avec l'Insee sur la base d'échantillons représentatifs de la société française et de réaliser des études ponctuelles sous contrôle de la CNIL. On est donc loin de la création des " fichiers éthniques ", rendue obligatoire dans des pays qui pratiquent les quotas, comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne (voir article lié). D'un point de vue plus technique, la CNIL recommande de son côté aux employeurs de ne pas recueillir de données sur l'origine raciale ou éthnique de leurs employés, rappelant qu'il n'existe pas d'indicateurs permettant une comparaison fiable. Elle autorise en revanche les entreprises à appliquer un traitement statistique à partir de leurs fichiers de gestion du personnel comprenant le lieu de naissance, à condition qu le personnel en soit averti et que les fichiers soient détruits une fois les statistiques établies. Enfin, elle n'est pas opposée au recueil de certaines données concernant les candidats à l'emploi, dans l'éventualité  où la mesure des origines serait autorisée. Il s'agit de la nationalité, de la nationalité d'origine le cas échéant, du lieu de naissance et de la nationalité ou du lieu de naissance des parents ainsi que  l'adresse du candidat.

Outre les raisons historiques qui rendent cette question particulièrement sensible en France, les partisans des fichiers ethniques se heurtent à l'hostilité de l'opinion. Dans sa note de veille du 31 juillet 2006, le Centre d'analyse stratégique constate que " les obstacles à l'expérimentation en France des statistiques " ethno-raciales " restent nombreux " et souligne " la réticence d'une proportion significative de Français vis-à-vis de ce procédé ". D'une manière générale, l'hostilité est encore plus marquée chez les immigrés et leurs descendants, indique Pierres-Yves Cusset, auteur de la note. Enfin, la plus vive opposition aux fichiers ethniques est venue de SOS Racisme. Samuel Thomas, son vice-président, a évoqué la mauvaise expérience menée dans le logement, où ont été pratiquées ces statistiques pour, au départ, résorber les bidonvilles et favoriser la mixité sociale. " Ces statistiques ont été menées pendant 20 ans et n'ont rien changé au problème. Au contraire les motifs de départ, qui visaient la non discrimination dans l'accès au logement social, se sont inversés. Les statistiques ont fini par servir à définir un seuil d'étrangers à ne pas dépasser dans certains endroits, " explique-t-il. Selon lui, ces fichiers n'auraient servi au bout du compte qu'à discriminer en instaurant des  " grilles de peuplement " et des quotas définis de manière opaque. Un bilan à l'opposé de ce que les partisans de la discrimination positive veulent obtenir.

 

Véronique Smée
Mis en ligne le : 23/10/2006

 

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