N° 502 - mercredi 1er
décembre 2004
EVENEMENT
Les enjeux d’un procès “exceptionnel”
Mardi 30 novembre, si le procès n’est pas reporté, onze
videurs de boites de nuit lyonnaises seront jugés pour “discrimination raciale
par refus de service”. Ils encourent 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros
d’amende. Jamais, en France, un procès en discrimination raciale n’a concerné
autant d’entreprises. “Il y a eu des procès à 4 ou 5. Mais c’est le plus
important”, confirme Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme. “C’est un
procès exceptionnel”, renchérit-on dans l’entourage du procureur. Ce procès
est d’autant plus important que les procès pour discrimination sont
rarissimes, comparé à l’étendue du phénomène. Depuis la publication, en mars
2000, du testing de Lyon Capitale, SOS-Racisme n’en a comptabilisé qu’une
quinzaine.
Pourtant, la mobilisation semble générale. Outre les associations et les
politiques, les chercheurs se sont intéressés à la discrimination en France
“depuis le début des années quatre-vingt-dix”, selon le sociologue Alain
Battegay, sous l’impulsion des pouvoirs publics. Mais cela reste un aspect
secondaire des recherches. Résultat, on a encore d’importantes incertitudes
quant à l’ampleur, la réalité et les mécanismes de la discrimination raciale.
“Je ne connais pas d’équipe de recherche qui ait mis la discrimination dans
son ensemble au cœur de leurs recherches. C’est abordé dans le cadre d’études
sur l’école, l’emploi, l’accès au logement, les médias, les loisirs ou le
patrimoine. Il y a aussi des contraintes techniques spécifiques à la France.
Dans les recensements, par exemple, les origines nationales n’apparaissent
pas. Cela se défend, mais on est privé d’un outil de mesure”, explique
Battegay. Lui-même, qui travaille plus précisément sur l’espace urbain, ne
fait pas un constat optimiste : “Je ne suis pas sûr du tout que ça évolue
dans le sens de la réduction des discriminations.”
Pourtant, l’arsenal législatif existe depuis plus de trente ans. La loi Pleven
de 1972 relative à la lutte contre le racisme est assez ferme, mais elle ne
semble pas avoir résorbé le problème. Plus spécifiquement, la question de
l’entrée dans les boîtes de nuit devient un sujet récurrent dans les années
quatre-vingt-dix. Nouveau président, Jacques Chirac s’en scandalise dans un
discours en 1996. La gauche, revenue aux affaires, incite les victimes à
porter l’affaire devant la Justice. Ainsi, en mars 2000, alors que Lyon
Capitale fait son testing à Lyon, des “Assises de la citoyenneté et de la
lutte contre les discriminations” se tiennent à Paris. Elles débouchent sur
la création d’un numéro vert, le 114. Pendant deux ans, de grandes campagnes
de sensibilisation incitent les victimes à se signaler. Mais les plaintes ne
débouchent qu’exceptionnellement sur des procès. Résultat, “de dizaines de
milliers d’appels au 114 en 2001 ou 2002, on est tombé à quelques centaines”,
affirme Samuel Thomas.
C’est donc au niveau de la Justice que le bât blesse. Justement, le procureur
général de Lyon, Xavier Richot, a décidé de frapper fort. Alors que la
plainte sur le testing de Lyon Capitale s’était un peu endormie au fil des
changements de juge, il l’a réveillée avant l’été, a accéléré l’enquête,
ordonné le renvoi des onze videurs devant le tribunal correctionnel et
“décidé de les juger rapidement”. De source judiciaire, on confirme que ce
dossier est l’occasion d’afficher une volonté de prendre au sérieux les
problèmes de discrimination. Il s’y prête d’autant mieux que, “contrairement
à beaucoup de plaintes, il y avait des éléments pour lancer l’instruction”.
Ce procès ne réglera pas la question de la discrimination à l’entrée des
boîtes de nuit. Il peut pourtant jouer un rôle majeur, au moins pédagogique,
vis-à-vis des établissements de nuit et des jeunes Maghrébins. “Les boites
que nous faisons condamner changent généralement d’attitude. Et surtout, on
constate systématiquement une augmentation des signalements au lendemain des
procès que l’on gagne”, affirme Samuel Thomas, qui en appelle à une mobilisation
citoyenne : “L’essentiel des procès gagnés l’est grâce aux témoins. Il y a
des antiracistes partout : dans toutes les boîtes de nuit, les entreprises,
les offices d’HLM… C’est leur témoignage qui permet des condamnations. Et
c’est par la crainte de leur témoignage qu’on peut faire changer les choses.”
Le mardi 30 novembre, la Justice française a ainsi l’occasion d’envoyer un
signal fort.
Raphaël Ruffier
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